Mokapop

avril 21, 2009

Petite Cassandre devant son mirroir

Filed under: Uncategorized — mokawi @ 6:02

If you actually do this, what really happens is Douglas Hofstadter appears and talks to you for eight hours about strange loops.

Il y quelques temps, après avoir été intrigué par un comic de xkcd, je suis tombé sur un article nommé « Bloody Mary in the Mirror: A Ritual Reflection of Pre-Pubescent Anxiety », par Alan Dundes. L’auteur y montrait les résultats d’une étude ethnologique: il avait interviewé aux États-Unis un certain nombre de femmes et de jeunes filles sur le rituel de « Bloody Mary », alias « Mary Worth », alias « Mary Jane », etc.

Le rituel change d’un endroit à l’autre, mais généralement, ça fonctionne un peu comme suit: l’enfant (généralement une fillette de 9 à 11 ans) va dans la salle de bain, fixe le miroir et appelle trois fois « Bloody Mary ». Une femme ensanglanté apparaît alors dans le mirroir – et comme dans le comic, elle peut s’attaquer à celle qui l’appelle ou lui faire une blessure sanglante.

L’interprétation de Dundes, c’est qu’il s’agit d’un rite de passage vers l’âge adulte et d’une appréhension des premières règles. La salle de bain évoquerait le lieu de ces premières règles, le miroir présentait une Mary ensanglantée ne ferait que refléter l’évènement qui se prépare dans le corps de la fillette. Le fait que ce rituel ne semble pas concerner les garçons semble confirmer l’interprétation.

En lisant cela, je fus pris d’une fascination morbide, une sorte d’excitation un peu semblable à celle que me causaient les nouvelles fantastiques de Maupassant. Il y avait cependant un peu plus: un des plus grand mystères de notre époque – sans doute le mieux occulté – est le secret de la différence de genre. Or cette histoire, bien qu’il fallait qu’elle me semble étrangère à ma réalité de jeune adulte mâle, m’étonne au-delà de cette distance: jamais je n’aurais cru la nature humaine capable de cela. Mon expérience d’anthropologue de bistro me dit que c’est dans ces aspérités qu’on trouve le filon.

Cepedant, trois gouttes de sang dans un mirroir sont bien peu d’indice pour trouver un des grands secrets de la chose féminine. Je dus m’en remettre au mystère. Mais hier soir, j’ai vu le film El laberinto del Fauno, dont le principal personnage est une fillette de 10-11 ans et se prénomme Ofelia. À un moment, la fillette s’enferme dans la salle de bain pour lire le livre magique que lui a remis le faune, qui a pour pouvoir ambigu de prédire l’avenir et, du même coup, de la guider dans sa quête. Lorsqu’elle l’ouvre, elle s’attend à ce qu’y apparaisse les consignes de sa prochaine épreuve, mais des tâches écarlates remplissent la page et coulent vers la reliure comme si le livre saignait abondemment. Comprenant que le livre vient de prédire de nouveaux ennuis avec la grossesse de sa mère, elle ouvre la porte et trouve sa mère titubant dans une robe pleine de sang.

La ressemblance de la scène avec Bloody Mary est frappante: la salle de bain, le livre qui remplit exactement le rôle du miroir, le sang, de surcroît sang de l’utérus. On peut donc prendre pour hypothèse qu’Ofelia vient de se faire révéler l’annonce de sa puberté. Or un des traits les plus évidents de ce film, c’est que la quête magique d’Ofelia ne se mêle jamais avec la guerre des adultes (l’histoire se passe au coeur même d’une bataille entre franquistes et brigades rouges): ce trait est sans cesse rappelé, que ce soit par la désapprobation de sa mère ou par les questions d’Ofelia à la servante avec qui elle se lie d’amitié. Ofelia, au moment même où elle doit devenir adulte, s’enfonce dans l’enfance.

Mais étrangement, cette quête, qui semblait devoir mener vers l’innocence éternelle se termine sur une scène tout aussi chargée symboliquement que la scène du livre ensanglanté: après avoir kidnappé son petit frère, elle refuse qu’il paie de son sang le prix pour qu’elle puisse accéder au royaume magique, et croit voir pour cette raison la porte vers celui-ci fermé à tout jamais. Elle se retourne et trouve en face d’elle son demi-père, qui, furieux, lui prend le bébé et la tue d’une balle de revolver. Ofelia tombe, sa main au dessus de la porte magique: de celle-ci coule quelques goutte de son sang. C’est ce sang-là, le sien, qui lui permet finalement d’accéder à son royaume merveilleux, et on a une image d’Ofelia, vêtu de vêtement royaux un monde fantastique. Puis le film se termine sur une image de la servante, inconsolable sur la dépouille ensanglantée de la fillette. À la suite du rapprochement avec Bloody Mary, comment ne pas y voir un symbole de la toute première menstruation, et une fabuleuse évocation du tragique et du merveilleux qu’elle porte?

Cette histoire évoque en moi toutes sortes de souvenir, de L’exorciste aux paroles d’une amie qui se plaignait que ses parents soient un peu endeuillés de la petite fille qu’elle était. Je n’ai pas tout lié comme il faut, mais je voudrais bien comprendre le fin mot de cette histoire. Un pan de matière empirique s’est dévoilé à moi, et je veux qu’il me livre ses secrets.

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